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Imprimerie Union

Les Surréalistes

Lorsque sort des presses le douzième et dernier numéro de La Révolution Surréaliste le 15 décembre 1929, la réputation de l’Imprimerie Union est déjà faite depuis une décennie. A notre connaissance, ce n°12 est le premier des imprimés surréalistes estampillé Union. Il est aussi le seul des numéros de La Révolution Surréaliste où le tirage est stipulé : 3000 exemplaires ordinaires et 10 de luxe. Les Surréalistes font imprimés les quatre premiers numéros de leur revue par l’Imprimerie Alençonnaise, les six suivants (n°9-10 double d’octobre 1927) par l’Imprimerie Spéciale de La Révolution Surréaliste située au 42, rue Fontaine, et le dernier par Union. Ce douzième numéro correspond à un changement de dépositaire, les dix premiers étant en effet distribués par la Librairie Gallimard, et celui-ci par la Librairie José Corti. Corti ne semble pas avoir travaillé avant avec Union ; nous trouvons quelques indices sur leur relation dans une lettre datée du 5 septembre 1935 adressée à l’imprimerie. Tenu par l’Imprimerie Union de justifier sa comptabilité, le libraire répond : « Vous avez imprimé les n° du Surréalisme au service de la Révolution, et le n°12 de LaRévolution Surréaliste ainsi que plusieurs volumes portant la firme « Editions Surréalistes ». Ces différents travaux vous ont toujours été commandés par les auteurs et réglés par leur soin ; quand je vous ai fait des versements ils ne constituaient, en réalité, que des virements de sommes dues par moi aux auteurs, après vente de leurs publications. Mais je n’ai jamais eu, vis-à-vis de vous, d’engagements d’argent ». Union imprime par ailleurs pour les éditions José Corti le catalogue des livres surréalistes de 1931 sur lequel se trouve en quatrième de couverture le tableau Lisez – Ne lisez pas.

 L’Imprimerie Union imprime aussi les six numéros du Surréalisme au Service de la Révolution, revue éditée entre juillet 1930 et mai 1933. Nous connaissons quelques détails  concernant les deux revues grâce à plusieurs courriers échangés entre le 24 avril 1930 et 17 novembre 1931 avec Paul Eluard.

 Un certain nombre de livres des Surréalistes sont également imprimés au 13, rue Méchain, soit au compte des Editions Surréalistes, soit de José Corti comme La peinture au défi d’Aragon de 1930, parfois encore à celui des Cahiers Libres que dirigeait René Laporte. En outre, l’une des particularités de la production surréaliste est le grand nombre de tracts et autres déclarations produits. La première de ces déclarations estampillée Union est La mobilisation contre la guerre n’est pas la paix en juin 1933, suivit de La planète sans visa en avril 1934, puis, Neutralité ? Non-sens, crime et trahison ! en août 1936, et enfin Discours d’André Breton à propos du second procès de Moscou en janvier 1937.

 En 1933, Albert Skira crée avec Tériade, la revue Minotaure. Imprimé par l’Imprimerie Kapp pour le n°1 et 2, par l’Imprimerie Art et Commerce pour le n°3-4, et par l’Imprimerie « L’exact », pour le n°5, Albert Skira trouve chez Union pour les n°7 à 13 (1935-1939) l’attention nécessaire à son projet éditorial : « Plus tard, nous eûmes un imprimeur plus généreux qui nous aida grandement. Je veux parler avec reconnaissance de mes amis Chalit et Snégaroff, de l’Imprimerie Union, qui sortirent pour nos éditions de nombreux travaux et plus particulièrement les premiers albums des Trésors de la Peinture française » 1.

 Les archives de l’Imprimerie Union conservent le devis de la revue daté du 20 mai 1935, soit moins d’un mois avant la sortie du n°7, le premier imprimé rue Méchain. Il y est question de 64 pages de texte et gravures, de 16 pages publicitaires, de la couverture en bichromie, le tout tiré à 3000 exemplaires et comprenant la composition, le montage, le tirage et le brochage, pour une somme de 11640 francs. Le papier mentionne également le prix de 1550 francs pour deux hors- textes en trichromie montés en papier chromo, et celui de 1820 francs pour les mêmes en quadrichromie, les deux tirés à 3000 exemplaires. Le papier et les clichés étaient fournis par Skira.

L’Imprimerie Union s’occupe aussi de l’impression d’ouvrages des Editions Surréalistes lesquelles comprennent cinquante-neuf ouvrages imprimés entre 1926 et 1968. Comme le souligne Georges Sebbag, le même mode de fonctionnement semble régir l’ensemble des imprimés surréalistes : « Il faut rapprocher la pratique éditoriale des tracts et de la Revue de celle des Editions Surréalistes. L’auto-financement est la règle. Les signataires des tracts se cotisent ; les animateurs de la Revue, comme Breton et Eluard, sont spécialement mis à contribution ; le plus souvent les auteurs des Editions Surréalistes traitent directement avec l’imprimerie .… [elles] se définissent comme une auto-édition, individuelle ou plurielle réservée aux membres du groupe surréaliste. Loin d’isoler les individualités, les Editions Surréalistes renforcent leurs liens »2.

Quelques éléments relatifs à cette production sont intéressants dans la perception de la vie professionnelle de l’Imprimerie Union. Ducros & Colas et l’Imprimerie Union sont les deux principales imprimeries à avoir imprimé ces éditions. Sept documents sont avérés des deux côtés, mais l’absence de marque d’imprimeur sur La femme visible de Dali ne permet pas de savoir si l’Imprimerie Union en imprime un huitième. Le premier des imprimés des « Editions Surréalistes » tiré chez Union possède la même particularité. Il s’agit de Persécuté persécuteur d’Aragon achevé d’imprimer le 25 octobre 1931. Son lieu d’impression est toutefois identifié dans l’étude de Georges Sebbag, et l’absence d’estampille, justifiée par le caractère polémique de l’œuvre et le souci d’éviter d’éventuelles poursuites ou saisies.

Dans « Le Surréalisme et le devenir révolutionnaire » de novembre 1931, Aragon s’exprime en ces termes : «  Au 17ème siècle on arrêtait les écrivains, la censure saisissait les livres, on devait se faire imprimer en Hollande. Nous en sommes là nous autres surréalistes, mais on nous traite avec de nouvelles méthodes. C’est ainsi par exemple  que Crevel et moi-même ne pouvons plus être imprimés. Et bien entendu que c’est le contenu de ce que nous écrivons qui nous aliène les éditeurs. La censure agit avant la lettre, c’est plus élégant ».

 Puis survient l’affaire de la deuxième impression de Front Rouge dans Misère de la poésie, et plus précisément de l’article « L’affaire Aragon » devant l’opinion publique d’André Breton en mars 1932. Cette fois-ci l’Imprimerie Union est mentionnée. Ce pamphlet fait suite à l’inculpation d’Aragon en janvier 1932 pour son poème Front Rouge. Breton écrit donc ce texte, qui, censé défendre son ami, entérinera au contraire la fin de leur rapport. Une partie des détails de cette affaire figure dans la préface qu’Aragon rédige pour le tome V de son Œuvre poétique sorti en 1974 : « L’idée ne m’est pas venue que la brochure avait été imprimée plus vite qu’André ne l’attendait. Pendant des années je l’avoue. C’est plus de trente ans après que je me suis mis à penser que, sans doute, l’Imprimerie Union (je crois) qui venait de tirer Persécuté persécuteur, l’octobre d’avant, faisant du zèle, avait mis les bouchées doubles, et même sur un mot non confirmé d’André tenu pour entendu que j’avais autorisé de mettre en appendice Front Rouge, ce qui ne s’est trouvé juste que le jour où Misère paraissait ». Georges Sebbag poursuit : « Bref, l’Imprimerie Union aurait achevé d’imprimer, le 25 octobre 1931, Persécuté persécuteur, qui s’ouvre sur Front Rouge, et aurait prématurément tirée, le 9 mars 1932, Misère de la poésie, qui contient en annexe Front Rouge, donc le jour même de l’entrevue fatidique avec Breton ». Georges Sebbag relate ce dernier épisode dans son livre en s’appuyant sur le récit des deux intéressés. Le premier, d’après la préface d’Aragon de 1975, et le deuxième, avec les Entretiens de Breton de 1952 : « Dans l’après-midi du 9 mars 1932, rue Fontaine, Breton lui lit les épreuves de Misère de la poésie. Aragon n’a qu’une objection. Il veut supprimer une note qui lui paraît indiscrète vis-à-vis d’un camarade communiste. La note est supprimée. Il rentre tard chez lui et trouve dans le courrier la brochure imprimée, avec la note. C’est l’affolement. Il rédige pour L’Humanité du lendemain matin un communiqué dans lequel il se désolidarise de Misère de la poésie. Aragon confie : “Je n’ai jamais rien fait de ma vie qui m’ait coûté plus cher”  […] Breton … propose une autre version : “ Les épreuves de ce texte venaient tout juste de me parvenir lorsque Aragon me relata… ” Et du récit d’Aragon, Breton relève une phrase tenue par un membre du parti : “ Je jugeai que, dans Misère de la poésie, je devais faire état de ce propos, qui montrerait à quelle mauvaise foi ou à quelle indigence de pensée nous nous heurtions. Aragon s’y opposa formellement : c’était là un propos tenu à l’intérieur du parti, qui ne pouvait donc être rendu public. Comme je persistais dans mon intention, étant quitte de tout engagement en ce sens, il me signifia que l’insertion de cette phrase dans Misère de la poésie rendait inévitable notre rupture” ».

 Entre la parution de Persécuté persécuteur et Misère de la poésie, L’Amour et la Mémoire de Salvador Dali paraît le 15 décembre 1931, et, tout comme le livre d’Aragon, sans mention d’imprimeur. C’est ici un passage de José Corti dans Souvenirs désordonnés qui éclaire sur le lieu d’impression : « Pour faire sacrer Dali grand peintre, elle sut (Gala), comme je l’ai dit, susciter des amateurs ; pour le faire reconnaître écrivain, elle se fit typographe. Quand Snégaroff, qui n’en goûtait pas le ton, lui refusa l’impression de L’Amour et la Mémoire, mais lui permit en revanche d’en composer elle-même le texte, je l’ai vue, à l’Imprimerie Union, debout à la casse, travailler le composteur en main, comme un apprenti maladroit mais appliqué ». Notons à ce propos cette dernière remarque de Georges Sebbag : « La femme visible, le premier livre de Dali est achevé d’imprimer le 15 décembre 1930. Or, un an après, L’Amour et la Mémoire « se souvient » parfaitement du premier ouvrage, puisqu’il est achevé d’imprimer le 15 décembre 1931. On ne sait lequel de Gala ou de Dali, a tenu à fêter cet anniversaire », ni d’ailleurs, s’ils crurent bon de le célébrer sur les mêmes presses.

 L’Imprimerie Union imprime ensuite Comme deux gouttes d’eau de Paul Eluard le 20 janvier 1933, et le 20 juillet 1934, Le Marteau sans maître de René Char. Char entame avec ce livre une collaboration indéfectible avec l’Imprimerie Union.

 Les tracts Rupture inaugurale de juillet 1947, et A la niche les glapisseurs de dieu! de juin 1948, sont les deux derniers imprimés « Union » des Editions Surréalistes. José Pierre analyse ainsi le contexte de leur création : « A distance, la période 1947-1948 apparaît comme essentielle pour la reconquête par les Surréalistes de l’audience qui avait été la leur jusqu’à la veille du précédent conflit international », et « on ne saurait minimiser l’importance du corpus théorique que constituent les trois grands tracts de 1947-1948 : Liberté est un nom vietnamien, Rupture inaugurale et A la niche les glapisseurs de dieu ! qui, bien que rédigés par des Surréalistes de la seconde « vague » (comme Pastoureau), ont le mérite de redéfinir au présent pour les jeunes recrues de la troisième de ces « vagues » les refus fondamentaux du Surréalisme sur le plan social et idéologique : l’impérialisme, le stalinisme et le christianisme » 3; Seules deux informations concernant Union et ces documents sont à relever. Dans le livre de Georges Sebbag, nous trouvons les comptes de Rupture inaugurale tenus par Henri Pastoureau. D’abord une première note : « Payer l’imprimeur aussitôt qu’il y aura assez d’argent –Union – rue Méchain », et le détail du paiement, le premier versement étant de 10 000 francs et le deuxième de 5000.  Un élément encore qui nous éloigne dans le temps, mais qui permet une nouvelle fois de fédérer les solides amitiés d’Union. Rupture inaugurale avait été écrit par le groupe Cause, « une émanation du mouvement surréaliste ». Il est mentionné sur la couverture de Rupture inaugurale qu’il s’agit d’une « Déclaration adoptée le 21 juin 1947 par le groupe en France pour définir son attitude préjudicielle à l’égard de toute politique partisane ». Les signatures étaient internationales, et le secrétariat du groupe en France composé par Georges Henein, Henri Pastoureau et Sarane Alexandrian. Ce dernier, notamment fondateur en 1948 de la revue Néon, fut l’un des derniers de cette génération à utiliser les services d’Union, alors que l’entreprise venait de quitter les sphères familiales originelles de Volf Chalit et de Louis Barnier pour être dirigée par Dessartine à partir de 1989. Alexandrian écrit en effet à la fin de l’existence d’Union, en 1992, un ouvrage sur sa femme Madeleine Novarina, hommage posthume à sa mémoire.



 
  1. Editions Albert Skira, Vingt ans d’activité, Suisse, 1948, p. 74. En 1934, paraît le premier numéro des Trésors de la Peinture française, Les Primitifs. « Il s’agit …d’un vaste panorama embrassant un ensemble exceptionnel de peintures françaises des Primitifs aux Contemporains. ». « Cette collection deviendra le musée de bibliothèque que nous désirions constituer, et dans lequel se trouvera réuni un choix d’œuvres maîtresses de l’école française. Le travail de la gravure est assuré par un jeune chromiste, Michel Guézelle, d’un talent exceptionnel, et qui arrivera par la suite à des résultats surprenants. (Impression Imprimerie Union et Kaufmann) ».    

  2. Sebbag, Georges, Les Editions Surréalistes, 1926-1968, IMEC Editions, Paris, 1993, p. 7    

  3. Tracts surréalistes et déclarations collectives (1922-1969). Tome 2 -1940/69. Présentation et commentaire de José Pierre. Eric Losfeld éditeur, Collection Le terrain vague, Paris, 1980