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Imprimerie Union

Fernand Mourlot

Fernand Mourlot est né en 1895 dans une famille d’imprimeurs. A la mort de son père en 1921, il reprend avec ses frères l’entreprise familiale qui devient « Mourlot Frères ». En 1937, il collabore avec l’éditeur Tériade, fondateur de la revue Verve, et accueille par la suite dans son imprimerie, Matisse, Braque, Bonnard, Rouault, Miró. Il sera notamment le lithographe attitré de Chagall et de Picasso.

 L’Imprimerie Union vit des moments difficiles pendant la seconde guerre mondiale. Volf Chalit et Dimitri Snégaroff, tous les deux d’origine juive, doivent rapidement s’organiser afin de protéger leur entreprise en instituant Union en société d’administration aryenne. Fernand Mourlot sauve leur situation : « Afin de rendre service à des confrères israélites menacés par les lois raciales, j’avais acheté — une vente fictive qui devait me causer par la suite pas mal d’ennuis avec les Allemands — l’imprimerie « L’Union », rue Méchain, dans le XIVème arrondissement. C’est un certain Schiffrin, un homme assez étonnant, un éditeur russe de grande culture dont j’avais favorisé le départ en Amérique, qui avait dit aux propriétaires, Snégaroff et Chalit : — Si vous avez des ennuis, adressez-vous à Mourlot, vous pouvez lui faire confiance. Ils étaient venus me trouver aussitôt : — Monsieur Mourlot, nous vous supplions d’acheter notre imprimerie, nous avons pour vous l’argent nécessaire. Huit jours plus tard, je dirigeais " L’Union " »1

 Les archives de l’imprimerie rendent compte de l’ensemble de ces tractations. Ainsi, le 31 décembre 1940, la société initiale de Chalit et de Snégaroff est transformée en une S.A.R.L dont Fernand Mourlot et Pierre Aimée Labouesse sont nommés gérants, et Mrs Tirard et Pierrot devenant les deux derniers associés. Par un acte enregistré le 13 mai 1941, Mourlot se rend par la suite acquéreur des parts de Chalit et de celles de Snégaroff, au moment où Joseph Dumoulin, imprimeur de métier, est nommé Commissaire-gérant de l’imprimerie par le Militaerbefehlshaber. Les rapports réguliers de Dumoulin adressés au chef des Services de contrôle des Administrations provisoires jusqu’en septembre 1941, ainsi que la plainte adressée par Chalit et Snégaroff au Ministère du Travail à la fin du mois de décembre 1945, nous éclairent sur ce que fut le climat au sein de l’imprimerie durant cette période.

 Au lendemain de son arrivée, Dumoulin indique à ses supérieurs que « Chalit et Snégaroff sont encore employés dans la Maison en tant que techniciens et ce, momentanément, mais n’ont plus de rapport avec la clientèle ». Selon les deux russes, si Dumoulin ne les a pas chassés de l’imprimerie «  s’était assurément en vue de son intérêt personnel », et précisent par ailleurs que le Commissaire s’était « octroyé la somme de 5000 francs par mois pour sa « gérance » et les frais de liquidation. De plus il faisait payer par la caisse de l’imprimerie, et à raison de 3000 francs par mois, un de ses collaborateurs qui avait sans doute à surveiller notre activité ». Au reste, les anciens directeurs d’Union et les actionnaires de la S.A.R.L devaient faire face à l’acharnement de Joseph Dumoulin, qui, incrédule devant les circonstances de création de la nouvelle société, cherchait à établir les preuves nécessaires pour authentifier le caractère fictif de la vente. Pour lui, « la validité et l’aryanisation de la S.A.R.L » étaient plus que douteuses : « Il est invraisemblable que Messieurs Snégaroff et Chalit aient consenti à être entièrement dépouillés au profit de tiers, surtout lorsque la somme en jeu atteint près de 700 000 francs ». Et le Commissaire de préciser, « Entre parenthèses, j’ai l’impression que Mr Mourlot n’a pas remis à Messieurs Snégaroff et Chalit, les 40 000 francs convenus par l’acte du 2 mai 1941 ».

 A partir de 1942, Mourlot devient seul Commissaire-Gérant d’Union, tandis que Chalit et Snégaroff restent apparemment techniciens pendant un certain temps dans l’entreprise, devant toutefois se cacher à plusieurs moments. Dénoncés, ils ne devront apparemment leur salut, qu’à la bienveillance d’un employé (des postes) qui intercepta la lettre. Le paragraphe six de la plainte de Chalit et de Snégaroff souligne le rôle d’une autre personne : « Sans l’intervention d’un honnête fonctionnaire au Commissariat aux Affaires Juives les rapports faits par M. Dumoulin et destinés aux Allemands auraient pu être néfastes aux nouveaux sociétaires non-juifs et en particulier à M. Fernand Mourlot qui a montré un grand courage dans l’accomplissement de son rôle de sauvegarde de l’Imprimerie Union qu’il s’est assigné ».

 Pierre Hamp est la deuxième personnalité majeure à intervenir à ce moment dans l’histoire de l’Imprimerie Union. L’écrivain qui connaît les deux russes depuis l’époque où il habitait Bourg-La-Reine, travaille depuis 1937 à la Société des moteurs Gnome et Rhone en tant que Directeur du centre professionnel. L’Imprimerie Union imprime à ce propos un certain nombre notices techniques entre 1934 et 1938. Soucieux d’aider Chalit et Snégaroff, Pierre Hamp sollicite le 28 mai 1941 le Haut Commissaire aux Affaires juives, et Pierre Laval trois jours plus tard sans que nous ne sachions quelle fut l’incidence du courrier.

 Fernand Mourlot raconte dans son livre Cinquante années de lithographies, ses rapports avec les Gallimard ce qui l’amène aussi à évoquer l’imprimerie : « Cette boîte (Union), assez importante, travaillait beaucoup pour la N.R.F, on imprimait à ce moment-là, c’était en 1941 ou 1942, La Pléiade. Raymond Gallimard, le frère de Gaston, qui s’en occupait, me fit un jour une proposition : m’occuper de la partie artistique de présentation des livres. J’ai réfléchi, je n’avais pas grand-chose à faire, j’ai accepté… ». Fernand Mourlot poursuit : « comme j’étais en même temps directeur de l’Union, les Gallimard m’ont fait des offres : " — Qu’est-ce que vous allez faire de ça, ce n’est pas votre métier, vous êtes imprimeur-lithographe c’est différent. Vous devriez vous en séparer, peut-être que nous pourrions faire un gros effort pour acheter la maison ? " ». En somme ils voulaient que je leur vende une maison qui n’était pas à moi, heureusement je ne l’ai pas fait et j’ai pu rendre à la Libération, l’Union à ses véritables propriétaires dans l’état de joie qu’on devine, cette imprimerie existe toujours, c’est une bonne maison ».

 Les ateliers de Mourlot et ceux d’Union travaillaient déjà à des ouvrages en commun avant guerre. Le premier répertorié dans notre catalogue est le livre de Pierre Noury, Nos drapeaux, publié aux Editions de Cluny en 1939. Les deux noms se retrouvent associés par la suite dans les publications de Maeght, de Denoël, du 41° d’Iliazd; puis après 1950, dans les catalogues d’exposition du Musée national d’art Moderne.



 

  1. Mourlot, Fernand, Cinquante années de lithographies, présentation de Pierre Cabane, Edition Pierre Bordas et fils, Paris, 1983 p. 80-82.