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Imprimerie Union

Louis Barnier

« Pour nous tout est bien et égal : nous apportons le même soin à composer un texte de Paul Eluard, d’André Pieyre de Mandiargues, de René Char ou d’André du Bouchet, qu’une publicité pharmaceutique, une information financière, ou un simple tarif. Et il nous arrive – pas toujours mais souvent – d’y prendre le même plaisir ».
Louis Barnier, publicité pour l’Imprimerie Union

Louis Barnier est né à Millau le 25 avril 1924. Après une adolescence dédiée aux livres et aux sports, Louis Barnier rejoint Toulouse pour y préparer Normale Sup. Ulm puis y exercer l’activité de maître d’internat qu’il continuera au Lycée Lakanal de Sceaux. Jeune professeur de français, c'est dans une bibliothèque qu'il rencontre à Paris, à la fin des années quarante, Lucie Strouzer, petite-fille de Volf Chalit. Ils se marient en 1950 et Louis Barnier travaille presque aussitôt à l’Imprimerie Union. Novice dans le métier, Chalit et Snégaroff se chargent durant un an de son apprentissage, puis Louis Barnier devient en 1957 directeur de l’Imprimerie Union, soit quatre ans après être entré au Collège de ‘Pataphysique.

Louis Barnier se définit comme un « imprimeur traditionnel », travaillant n’importe quel support et matière imprimée. « Je me veux imprimeur de livres, malheureusement, j’en imprime de moins en moins au profit des travaux publicitaires». Par ailleurs souligne-t-il, « l’Imprimerie Union n’a jamais eu la prétention d’être une imprimerie d’art. Nous faisons surtout de la typographie, à la rigueur des bois » 1. Louis Barnier resta durant toute sa carrière particulièrement attentif à la place et au statut de l’imprimeur dans l’ensemble du circuit productif de l’imprimé : « Le rôle de l’imprimeur actuel est lié à une structure de l’édition. Il est certain qu’autrefois l’éditeur était peu intervenant. Les rapports normaux s’établissaient entre l’auteur, le peintre et l’imprimeur en vertu d’une structure plus ou moins renforcée ». Les exemples des Surréalistes, d’Ilarie Voronca et de Vicente Huidobro, illustrent cette dynamique, eux dont les ouvrages, quoique parus chez différents éditeurs, travaillant eux-même avec leur propre imprimeur, étaient tous imprimés par Union. Dans le même cas de figure, c’est Gertrude Stein qui au début des années trente s’adresse elle-même à Volf Chalit et à Dimitri Snégaroff pour l’impression de ses livres, et non son éditeur. La création de plaquettes de vœux à partir de 1961 répondra à cette nécessité pour Louis barnier de resserrer la conception, la fabrication et l’édition.

Au micro de l’émission Agora de France Culture diffusé le 21 décembre 1981, Louis Barnier précise la manière dont il envisage la place de l’imprimeur : « Si on parle du livre courant, le rôle de l’imprimeur est négligeable. Faire un roman, cela n’implique ni création, ni apport de l’imprimeur. L’apport de l’imprimeur, si apport il y a, c’est lorsque le livre commence à s’élever à un certain niveau et rejoint lui-même l’œuvre d’art ». Cette remarque trouve un écho dans les propos de Dominique Fourcade qui identifie assez nettement les principales problématiques entourant la profession : « Le rôle des imprimeurs est reconnu comme fondamental dans l’aboutissement d’un livre, et nul connaisseur n’est surpris de lire, au colophon de tant et tant de beaux livres d’aujourd’hui, fort différent les uns des autres, le nom de l’Imprimerie Union ; la plupart des poètes, des peintres, des éditeurs se sont retrouvés un jour chez Louis Barnier. Pourtant la qualité d’impression d’un texte ne peut pas être retenue, comme la condition sine qua non de la réussite d’un livre, et des livres imparfaitement imprimés sont, malgré ce, parmi les plus vivants de notre temps. Dans le livre illustré, une certaine vibration est en cause, une mise en onde que la perfection technique n’interdit pas mais dont elle n’est pas garante »2. Louis Barnier reconnaît volontiers cet état, et la liberté à laquelle peut prétendre l’imprimeur ne dépasse pas pour lui le cadre relativement restreint de certains travaux : « Tout texte qui réclame l’intervention décisive de l’imprimeur est un texte qui essaie de dévier un peu, de sortir du simple cadre de la page ou en tout cas du simple texte linéaire. Ce sont les calligrammes, ce sont les rébus … » ; « Maintenant quel est notre apport ? Il n’est pas évident à tous les coups, il est de conseil, il est de discussion » 3. Dans une lettre datée du 25 février 1964, Pierre-André Benoît définit assez explicitement la place de l’imprimeur lorsqu’il qualifie Louis Barnier de « maître d’œuvre » 4.

Louis Barnier attache une importance toute particulière à la reconnaissance de sa profession par le milieu de l’édition. Pour lui en effet, la question de la survie des structures traditionnelles de son métier dépend d’une symbiose nécessaire avec le corps éditorial : « Lorsque j’ai repris l’Imprimerie Union, j’ai commencé par refuser de réaliser les volumes de la collection La Pleïade car, lorsque j’ai demandé une augmentation, Gallimard m’a royalement accordé 1%… Comment voudriez-vous qu’il existe davantage d’imprimeurs français ? »5. A la fin des années soixante-dix, ce sont les éditions de Jean-Michel Place que Louis Barnier attaque pour avoir omis l’estampille "Imprimerie Union" dans leur reprint du Surréalisme au Service de la Révolution, imprimé pour l’édition originale chez Union de juillet 1930 à mai 1933. Le 4 juin 1977, il écrit à René Char : « "L’affaire Place-Union" est terminée. Et si je n’ai pu – manque de temps et de moyens financiers – la soutenir plus avant et obtenir la jurisprudence que j’avais souhaitée, elle s’est terminée à l’avantage de L’Imprimerie Union. Le Sieur Place a « offert ses hommages » à l’Imprimerie Union (sic le protocole d’accord), cent cinquante exemplaires de son édition, s’engage à demander à l’Imprimerie Union son accord pour toutes rééditions des travaux de l’Imprimerie Union qu’il envisagerait de faire. L’essentiel pour moi est donc obtenu ».

Deux autres exemples révèlent cette laborieuse reconnaissance réclamée par l’imprimeur. Louis Barnier écrit le 25 avril 1988 au Musée d’Art et d’Histoire de Genève : « J’admire, Monsieur, que réalisant un catalogue de 280 pages, au format 245x290, sur la revue Le Minotaure et ses alentours, vous n’ayiez pas fait la moindre mention des imprimeurs de la dite Revue. A croire que cette revue est sortie toute faite du cerveau d’Albert Skira, telle qu’en elle-même. A se demander si cette revue a réellement existée, si hautement pataphysique, elle n’est pas en définitive, une "solution imaginaire"». Cet épisode se termina sans douleurs pour les deux partis mais il était d’autant plus significatif pour Louis Barnier, qu’il avait vécu quelques années auparavant une situation analogue avec le Centre Pompidou, ainsi qu’il s’en explique dans une lettre du 30 janvier 1985 adressée au Ministre de la Culture. Apprenant que le musée cherchait des thèmes d’exposition, il avait envoyé un projet d’exposition sur l’Imprimerie Union ainsi qu’une sélection d’une petite centaine de livres d’art réalisés sur ses presses. N’ayant reçu aucune nouvelle de l’institution, il se permettait de signaler à Jack Lang cette nouvelle indifférence face au milieu de l’imprimerie : « (…) pour vous dire combien le typographe, que je veux être, est touché par l’action que vous menez depuis trois ans en faveur de l’art graphique. Mais je voudrais aussi vous dire combien cette action, quelle que soit son intelligence et sa profondeur, me paraît courir le risque d’être vouée sinon à l’échec, tout au moins à un succès relatif, si vos mandataires demeurent, s’agissant d’imprimerie, plus soucieux de bas prix que de qualité, plus sensibles à la rapidité d’exécution qu’à la créativité, et si ceux-là même qui ont charge de "conserver" et de promouvoir l’Art, continuent à considérer que la typographie n’est pas un Art ».

Antoine Coron dit de Louis Barnier : « Il avait sur le livre en général, et sur la façon de la faire dans le détail, des idées précises, d’où un classicisme – ce qu’on a pu appeler le "style Union" - qui se reconnaissait immédiatement au choix des caractères, à un certain emploi de l’italique, à l’équilibre de la composition, à la suppression de toute afféterie, de tout élément superflu. Il aimait particulièrement créer des affiches pour les musées : d’un coup d’oeil, sa "patte", claire et fine, était reconnaissable »6.

Le 8 novembre 2005, Artcurial accueille la vente de la Bibliothèque Lucie et Louis Barnier qui comptait plusieurs ouvrages d’Iliazd, de Pierre-André Benoit, des Editions Maeght, ainsi que des lettres de René Char, et bon nombre de pièces parmi les plus fameuses produites par le Collège de 'Pataphysique. Signalons aussi parmi les archives de Louis Barnier, un ensemble très intéressant de cartes de vœux et de cartons de vernissage.

 

Emission Agora, "Voix du livre", entretien avec Louis barnier :

 

  1. Catalogue de la vente Artcurial, Bibliothèque Lucie et Louis Barnier, Imprimerie Union, mardi 8 novembre 2005, article de Antoine Coron.   

  2. 50 livres illustrés depuis 1947, article de Dominique Fourcade, Bibliothèque nationale et Centre national des Lettres, Paris, 1988. Voir Grands livres.   

  3. Interview France Culture, Agora, Louis Barnier, imprimeur, 21.12.1981.   

  4. Lettre de P.A.B., 25 février 1964, Archives Volf Chalit-Louis Barnier.   

  5. Reliure/Brochure/Dorure, n°42, juin/juillet 1973, p.21.   

  6. Catalogue de la vente Artcurial, Bibliothèque Lucie et Louis Barnier, Imprimerie Union, mardi 8 novembre 2005, article de Antoine Coron.